L'employeur peut se prévaloir à l'appui d'un licenciement des propos relatifs à l'entreprise tenus par un salarié sur son compte Facebook dont il n'avait pas activé les critères de confidentialité de sorte que d'autres salariés ont pu les lire.
CA Lyon 24 mars 2014 n° 13-03463, ch. soc. A, SA Catesson c/ D.
La cour,
Statuant sur l’appel interjeté le 18 avril 2013 par la SA CATESSON du jugement rendu le 18 mars
2013 par le conseil de prud’hommes de Lyon (section commerce) qui a :
– Dit et Juge que le licenciement de M. D. repose sur une cause réelle et sérieuse,
– Condamne la SA CATESSON à payer à M. D. les sommes suivantes :
– 3 900 euros au titre de l’indemnité de préavis,
– 390 euros au titre des congés afférents au préavis ;
– 1 500 euros au titre de la mise à pied,
– 2 047,50 euros au titre de l’indemnité de licenciement,
– 850,00 euros au titre de l’article 700 Code de Procédure Civile,
– Déboute M. D. du surplus de ses demandes,
– Déboute la SA CATESSON de ses demandes reconventionnelles,
– Condamne la SA CATESSON aux dépens.
Aux termes de ses conclusions régulièrement communiquées au soutien de ses observations orales du 27 janvier 2014, la SA CATESSON demande à la Cour de :
-Infirmer le jugement du Conseil des Prud’hommes de Lyon en ce qu’il a jugé que M. D. a fait l’objet d’un licenciement pour faute lourde le 29 novembre 2010,
– Dire et juger que la lettre de licenciement du 29 novembre 2010 et les documents de fin de contrat mentionnent un licenciement pour faute grave,
– Dire et juger M. D. a fait l’objet d’un licenciement pour faute grave le 29 novembre 2010,
– Infirmer le jugement du Conseil des Prud’hommes de Lyon en ce qu’il a jugé que le licenciement de M. D. reposait uniquement sur une cause réelle et sérieuse,
– Dire et juger le licenciement pour faute grave de M. D. bien fondé,
– Débouter M. D. de l’intégralité de ses demandes,
– Confirmer le jugement du Conseil des Prud’hommes de Lyon en ce qu’il a dit que M. D. ne rapporte pas la preuve d’une faute commise dans la mise en oeuvre du licenciement, Par conséquent,
– Confirmer le jugement du Conseil des Prud’hommes de Lyon en ce qu’il a débouté le salarié de sa demande de dommages et intérêts pour préjudice distinct, En tout état de cause,
– Condamner M. D. à verser à la Société CATESSON la somme de 3 000 € au titre des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile,
– Le condamner aux entiers dépens. Vu les conclusions régulièrement communiquées au soutien de ses observations orales du 27 janvier 2014 par M. D. qui demande à la cour de : A titre principal :
– Infirmer le jugement rendu par le Conseil de Prud’hommes de Lyon le 18 mars 2013, Statuant à nouveau :
– Prononcer l’absence de cause réelle et sérieuse au licenciement de M. D. Par conséquent,
– Condamner la société CATESSON à verser à M. D. une indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, d’un montant de 15 885,96 euros,
– Condamner la Société CATESSON à verser à M. D. une indemnité de licenciement d’un montant de 2 322 euros,
– Condamner la Société CATESSON à verser à M. D. une indemnité compensatrice de son préavis d’un montant de 5 678 euros,
– Condamner la Société CATESSON à verser à M. D. une somme d’un montant de 1 500 euros au titre de sa mise à pied conservatoire,
– Condamner la Société CATESSON à verser à M. D. une somme d’un montant de 5 000 euros à titre de dommages et intérêts pour le préjudice subi du fait des circonstances et des conséquences de son licenciement,
A titre subsidiaire, si par extraordinaire la Cour reconnaissait la réalité des griefs formulés à l’encontre de M. D. :
– Confirmer le jugement du Conseil de Prud’hommes de Lyon du 18 mars 2013,
Par conséquent,
– Constater que le licenciement de M. D. ne repose pas sur une faute grave mais sur une cause réelle et sérieuse,
– Condamner la Société CATESSON à verser à M. D. une indemnité de licenciement d’un montant de 2 047,50 euros,
– Condamner la Société CATESSON à verser à M. D. une indemnité compensatrice de son préavis d’un montant de 3 900 euros, outre les congés payés afférents,
– Condamner la Société CATESSON à verser à M. D. une somme d’un montant de 1 500 euros au titre de sa mise à pied conservatoire,
En tout état de cause,
– Condamner la Société CATESSON à verser à M. D. une somme d’un montant de 2 000 € au titre de l’article 700 du Code de procédure civile,
– Condamner la même aux entiers dépens de l’instance.
Sur le licenciement pour faute
Il résulte des dispositions combinées des articles L 1232-6 et L 1235-1 du code du travail que devant le juge, saisi d’un litige dont la lettre de licenciement fixe les limites, il incombe à l’employeur qui a licencié un salarié pour faute grave, ou pour faute lourde’, d’une part d’établir l’exactitude des faits imputés à celui-ci dans la lettre, d’autre part de démontrer que ces faits constituent une violation des obligations découlant du contrat de travail ou des relations de travail d’une importance telle qu’elle rend impossible le maintien de ce salarié dans l’entreprise pendant la durée limitée du préavis.
L’employeur qui invoque une faute lourde ou une faute grave pour licencier doit en apporter la preuve.
En l’espèce, la lettre de licenciement contient des mentions contradictoires puisqu’elle énonce’ : ’« ’Les faits sont avérés, et il est clair qu’il s’agit d’un acte volontaire. Cette volonté de nuire caractérise une faute lourde. Vos explications ne nous ont pas permis de revenir sur notre décision. Ces agissements étant constitutifs de fautes graves, votre licenciement sans préavis prend effet dès première présentation de cette lettre par la Poste, date à compter de laquelle nous tiendrons à votre disposition certificat de travail, solde de tout compte et imprimé ASSEDIC’ ».
La SA CATESSON soutient que le licenciement a été motivé par l’existence d’une faute grave et en veut pour preuve le fait qu’elle a versé à M. D. ses indemnités de congés payés dont il aurait été privé en cas de licenciement pour faute lourde.
Ce paiement étant établi, la cour considère que le licenciement dont s’agit n’est motivé que par une faute grave et non par une faute lourde.
Dans ses conditions, il importe peu de savoir si le salarié a eu l’intention de nuire à son entreprise en diffusant les propos qui lui sont reprochés.
La charge de la preuve incombant à l’employeur celui-ci verse aux débats trois attestations établies le 19 juillet 2012 par Mme M., le 20 juin 2012 par M. J. et le 29 juillet 2012 par M. S., un courriel de la société PC D’CLIC en date du 20 novembre 2013 un rapport d’expertise amiable non contradictoire de Mme F. ’en date du 19 décembre 2013.
L’employeur ne versant pas aux débats les pages Facebook litigieuses, c’est le salarié qui produit des captures d’écran de ses pages Facebook, relatives à des échanges entre lui même et quatre personnes visiblement membres de sa famille proche (son fils, sa fille, une cousine, une nièce), ainsi que l’a relevé le conseil des prud’hommes.
M. S. explique dans son attestation qu’il avait entendu dans l’entreprise mi-octobre, début novembre 2009 des bruits sur des propos « ’dégradants pour la société émis par un de ses collègues’ », qu’il s’est connecté sur le compte Facebook de son fils , a tapé « ’ D.’ » et est arrivé « ’sur le mur Facebook’ » de l’intéressé où il a constaté les dits propos. Il en a parlé à Mme M. qui a alors constaté lesdits propos’, dont l’accès n’était pas bloqué. Mme M. indique dans son attestation que le 8 novembre 2009 elle a appris de M. S. qu’il avait constaté sur le compte Facebook de M. D. des propos insultants pour la société ; qu’elle s’est alors connectée sur Facebook ; qu’elle a tapé CATESSON ; que sont apparus plusieurs noms de conducteurs de la société dont celui de M. D.’’ ; qu’elle a alors accédé au mur de M. D. où elle a lu les propos litigieux « ’tellement insultants et dégradants pour l’image de la société’ » ; que les deux salariés ont alors montré ces pages à d’autres salariés. Elle précise que ces pages ont été imprimées et transmises à leur PDG’M. Z.’. M. J., explique dans son attestation qu’il a constaté le 8 novembre 2009 sur l’écran d’ordinateur de Mme M. « ’les propos insultants, infamants même à l’égard des cadres et du dirigeant de la société, ainsi que des propos tendant à nuire à l’entreprise en la présentant sous un jour particulièrement dégradant.’ » ’Il indique que les pages écran ont été imprimées et qu’il en a immédiatement parlé au président M. Z.’.
L’employeur n’a cru pas opportun de faire pratiquer immédiatement un constat d’huissier sur internet qui aurait permis sans contestation possible de savoir les mentions qui étaient accessibles à tout public sur le compte Facebook de M. D.’.
Mme M. indique dans son attestation qu’elle a tapé CATESSON dans son compte Facebook ce qui lui a donné accès à la liste des chauffeurs de l’entreprise et lui a permis de trouver le compte Facebook de M. D.’. Ce point est formellement contredit par une pièce versée aux débats par l’employeur émanant de la société PC D’LIC selon laquelle quand on tape CATESSON dans le moteur de recherche de Facebook on accède aux comptes des personnes portant ce nom de famille mais en aucun cas le lien n’est fait avec l’entreprise. Ce document indique que quand on tape « ’transports CATESSON’ » le nom des personnes travaillant dans la société apparaîtrait. Pour autant et assez curieusement alors que le premier cas est illustrée par une longue liste de comptes ouverts au nom de différentes personnes portant le nom CATESSON’, le deuxième cas n’est illustré que par deux comptes celui de la société CATESSON TRANSPORTS et par le compte de M. Jean-Marie CATESSON « ’catesson transports’ ». Dès lors, ce document ne confirme pas la possibilité de faire le lien entre le compte de M. D. et la société CATESSON, simplement en tapant CATESSON dans le moteur de recherche Facebook comme soutient l’avoir fait Mme M.’.
Mme M. indique aussi dans son attestation que dans le profil de M. D. apparaissait l’identité de son employeur’ : CATESSON’. L’expertise amiable, non contradictoire, produite aux débats par l’employeur précise que si « ’la mention CATESSON TRANSPORTS apparaît dans le profil, avec option public, c’est à dire qu’elle n’est pas privatisée dans le profil (par inadvertance ou par oubli), alors cette mention est susceptible d’être identifiée par les moteurs de recherches sur internet.’ »
La cour relève que cette expertise amiable ne porte pas sur le compte Facebook ou sur le profil Facebook de M. D., mais sur le fonctionnement général d’internet et des comptes Facebook. Seule l’attestation de Mme M. rédigée vingt mois après les faits, indique que le « ’profil’ » Facebook de M. D. mentionnait que son employeur était la société CATESSON. Cette attestation n’est étayée par aucun autre élément, ne serait-ce qu’une capture d’écran. Dès lors, elle ne peut suffire à établir la preuve de ce fait. La SA CATESSON ne peut raisonnablement se plaindre du fait que M. D. ait dès le 9 Novembre 2010, modifié son compte Facebook empêchant ainsi son ancien employeur de pouvoir justifier de certaines de ses affirmations. En effet, il était dans l’intérêt de l’employeur que le contenu des pages Facebook dont il se plaignait soit supprimé le plus vite possible. Il lui appartenait de se pré constituer une preuve de ses affirmations avant de procéder à la mise à pied du salarié. M. D. pour sa part a toujours nié avoir fait allusion nommément à son employeur.
En conséquence, la preuve qui incombe à l’employeur n’est pas rapportée de ce que le public pouvait avoir connaissance du fait que M. D. travaillait pour la société CATESSON et que les propos tenus à l’égard de son employeur sur son compte Facebook, étaient relatifs à la société CATESSON’.
En conséquence, les propos litigieux n’étaient accessibles qu’aux personnes connaissant l’identité de M. D., qui pouvaient accéder à son compte Facebook en renseignant intentionnellement ce dispositif des noms et prénoms du salarié. S’agissant d’une entreprise de plus de cent cinquante salariés, l’employeur n’apporte pas la preuve que certains de ses clients auraient eu connaissance des propos tenus par M. D.’. En revanche, il est établi que des salariés de l’entreprise ont pu lire les propos litigieux’.
Au delà des appréciations portées par les trois personnes attestant du caractère infamant des propos tenus, il convient de se rapporter auxdits propos produits aux débats par le salarié qui a effectué des captures d’écran, pour en apprécier le contenu. La cour constate, tout comme les premiers juges, qu’il s’agit d’échanges intervenus entre le 14 août 2010 et le 27 septembre 2010 entre M. D.’ et des membres de sa famille, dans lesquels le salarié se plaint de ses conditions de travail dans l’entreprise et reçoit les encouragements de ses proches. On retrouve les propos qui lui sont reprochés dans la lettre de licenciement. Replacés dans leur contexte, ils relèvent plus de l’expression du malaise du salarié que d’une volonté de porter atteinte à l’entreprise. Pour autant, il qualifie celle-ci en des termes peu flatteurs et excèdent son droit à la liberté d’expression. M. D. en n’activant pas les critères de confidentialité de son compte Facebook a pris le risque que ses propos, qu’il pensait privés soient accessibles à d’autres salariés de la société eux même titulaires d’un compte Facebook. Il soutient mais sans l’établir par aucune pièce qu’il n’était pas conscient avant le 9 novembre que ses échanges qu’il pensait privés étaient accessibles à tous compte tenu d’un changement du système qui aurait imposé peu avant de revoir tous les réglages de publication.
Dans ces conditions, c’est à juste titre que le conseil des prud’hommes a retenu que son licenciement reposait, non pas sur une faute grave, mais sur une cause réelle et sérieuse et lui a accordé le bénéfice des indemnités de ruptures ainsi que le paiement de ses salaires pendant sa mise à pied conservatoire’, la privation du salaire pendant celle-ci n’étant possible qu’en cas de licenciement pour faute grave. Cependant, il convient de modifier le quantum des sommes accordées compte tenu des pièces produites, le salaire retenu étant de 2.580 € bruts.’ En ce qui concerne le paiement du salaire pendant la période de mise à pied, il est dû au salarié la somme de 1.600 €.
L’indemnité compensatrice de préavis égale à deux mois de salaire en application de l’article L1234-1 du code de travail’, M. D. ayant une ancienneté dans l’entreprise supérieure à deux ans, doit être fixée à la somme de 5.160 €’, à laquelle il convient d’ajouter 10 % au titre des congés payés.
En application des articles L 1234-9 et R 1234-2 du code du travail, M. D.’, embauché le 19 février 2007 qui avait au 29 janvier 2011, trois ans et onze mois d’ancienneté, est en droit d’obtenir une indemnité de licenciement de 2 021 €.
Sur les dommages-intérêts
M. D. se plaint des conditions de la rupture de son contrat de travail’, en raison du traitement « ’d’une affaire en public au sein de la société’ » au motif qu’il « ’aurait fait l’objet d’un vindicte au sein de l’entreprise pour des propos échangés avec son entourage proche, ne visant nominativement personne, et qui n’aurait jamais été connu d’autres personnes si des employés mal intentionnés n’avaient pas effectué des recherches ciblées’ ».
M. D. ne peut reprocher à son employeur le caractère malveillant de la dénonciation de ses collèges. Il n’allègue pas que la rupture de son contrat aurait eu un caractère vexatoire. Dans ces conditions, il n’y a pas lieu de faire droit à sa demande de dommages-intérêts de ce chef.
Sur les autres demandes
La SA CATESSON succombant dans ses prétentions doit être condamnée aux dépens’. L’équité commande de la condamner à verser à M. D. la somme de 2.000 € en application de l’article 700 du code de procédure civile.
Par ces motifs
Confirme le jugement entrepris en ce qu’il a dit que le licenciement de M. D. avait un motif réel et sérieux et débouté le salarié de sa demande de dommages intérêts pour préjudice distinct ;
Infirme ledit jugement sur le quantum des condamnations,
Condamne la SA CATESSON à payer à M. D. les sommes suivantes’ :
-1.600 € au titre du paiement du salaire pendant la durée du préavis’ ;
-5.160 € au titre de l’indemnité compensatrice de préavis’ ;
-516 € au titre de congés payés afférents’ ;
-2.021 € au titre de l’indemnité de licenciement’ ;
-2.000 € en application de l’article 700 du code de procédure civile’ ;
Condamne la SA CATESSON aux entiers dépens.